Le pays hyérois et la presqu’île de Giens sont situés au cœur de la région française soumise au climat dit « méditerranéen », mais le dire c’est à la fois tout dire et ne rien dire, tant celui-ci apparaît marqué de particularités locales qui peuvent le rendre difficile à caractériser et à circonscrire géographiquement, surtout quand il n’est pas comme en France confronté à d’autres zones climatiques bien différentes.
Biogéographie et climatologie, deux disciplines étroitement associées
Le domaine méditerranéen a longtemps été et reste d’ailleurs bien souvent présenté par les géographes[2] comme une notion bioclimatique : c’était simplement le domaine de « la végétation méditerranéenne » et notamment de l’olivier, espèce emblématique entre toutes. Et par extension, le climat méditerranéen est devenu celui du domaine homonyme.
Cette idée n’est pas infondée. Elle repose sur l’intuition que les végétaux, et de façon générale tous les organismes fixés, doivent nécessairement pour survivre et se développer « intégrer » les paramètres de leur environnement, à commencer par son climat et ses variations.
Mais quand les écobotanistes modernes, notamment ceux qui ont fondé la phytosociologie au début du XXe siècle, ont voulu aborder vraiment scientifiquement la question, elle a (comme c’est souvent le cas…) commencé à se compliquer singulièrement, pour ne pas dire à leur échapper ! D’abord aucune des espèces végétales possiblement indicatrices, tel l’olivier, ne semblait pouvoir à elle seule caractériser l’extension du domaine méditerranéen, car leurs distributions géographiques respectives, au lieu de se correspondre, ne se recouvraient jamais tout à fait, quand ce n’était pas pour une part très significative. On a pu par ailleurs établir, pour beaucoup d’entre elles, que leurs répartitions naturelles avaient été largement étendues, ou au contraire parfois restreintes par l’Homme. Le cas le mieux documenté est peut-être justement celui de l’olivier, certes d’origine méditerranéenne, mais aujourd’hui répandu à l’échelle mondiale, y compris dans des régions n’ayant franchement rien de méditerranéen, et dont bien souvent on ne sait même plus déterminer si les formes locales dites « sauvages » (oléastre) le sont réellement, ou bien le résultat de l’ensauvagement de plants amenés et cultivés par les hommes[3,4].
Les botanistes ont donc d’abord cherché d’autres espèces végétales, soit indicatrices du domaine méditerranéen, soit au contraire « méditerranophobes », puis, à partir de 1911 avec l’école de Montpellier menée par Charles FLAHAUT (1852-1935), à caractériser la végétation dans son ensemble. Mais si cette approche novatrice permit des progrès considérables dans les domaines de la cartographie de la végétation et de l’écologie botanique, elle souffrait, dans ceux de la biogéographie et de la climatologie, d’une limitation consubstantielle à son principe : fondée principalement sur des inventaires floristiques au niveau spécifique, elle ne permet pas de rapprocher des régions climatiquement similaires, mais géographiquement éloignées et couvertes d’une flore différente.
Et cette insuffisance de l’approche bioclimatique s’avère tout particulièrement gênante pour le climat méditerranéen, qui justement présente sur la planète plusieurs avatars, qualifiés de « pseudo-méditerranéens », qu’on peut rencontrer par exemple en Californie, en Afrique du Sud, dans le sud de l’Australie, au centre du Chili…, et dont leur mise en scène paysagée au Jardin botanique du Domaine du Rayol nous donne un aperçu. Ces régions, pourtant très éloignées, présentent des paysages végétaux fort typiques et qui se ressemblent « furieusement », tant au niveau global du paysage qu’à celui de la morphologie des végétaux, mais ce d’autant plus étrangement qu’ils sont composés d’espèces radicalement différentes[4] !
Toutes ces difficultés ont ainsi de plus en plus conduit les chercheurs à une caractérisation purement climatique du domaine méditerranéen
Un climat d’emblée très original quant au régime des températures, des pluies et des vents[1] :
Schématiquement, le climat hyérois est caractérisé par des hivers doux et des étés chauds et secs, avec un record d’aridité en juillet, un ensoleillement important, des vents fréquents qui peuvent être violents, et bien sûr l’influence dominante de la mer.
Il n’est cependant pas homogène et la presqu’île de Giens marque la coupure entre deux grands ensembles provençaux :
– Vers l’ouest, le climat est de type « marseillais », particulièrement sec et soumis aux emportements irréguliers et parfois fort violents du Mistral ;
– À l’est, il est de type « niçois », notoirement plus humide et dominé par le souffle plus régulier, mais parfois tout aussi fort, du vent d’est (« marin »).
L’enregistrement en continu des directions du vent produit des distributions bimodales qui mettent bien en évidence deux secteurs privilégiés :
– le secteur est, situation météorologique perturbée en Méditerranée ;
– le secteur ouest-nord-ouest, souvent par régime de Mistral.
Comme sa cousine languedocienne la Tramontane, le Mistral résulte de l’extension périodique de l’anticyclone des Açores vers le golfe de Gascogne et le sud-ouest de la France, tandis que sa violence se trouve exacerbée quand concomitamment se creuse une dépression sur le golfe de Gênes. À Montpellier et aussi en Provence, on dit qu’il souffle trois, six ou neuf jours. Ce n’est pas un fait scientifique, mais le fait est que souvent les coups de Mistral durent effectivement de deux à trois jours, parfois un peu plus, ce qui correspond au délai habituel d’affaissement du système atmosphérique qui l’engendre.
Le Mistral, dont le nom dérive de « magistral », car il est le « maître-vent », impose son autorité à tous les aspects de la vie locale. Il peut souffler toute l’année, généralement davantage le jour que la nuit.
En hiver il contribue pour une part essentielle à l’ensoleillement de la région en chassant les nuages, mais il apporte aussi la froidure des régions du nord-ouest (et non des Alpes comme on l’entend dire parfois) qu’il exacerbe par ses rafales tempétueuses.
L’été il atténue les rigueurs de la canicule pour ceux qui restent au travail et malgré son irrégularité, il est alors fort apprécié des habitués du « spot » de planche à voile et de « kitesurf » internationalement réputé de l’Almanarre, un peu moins des estivants et de leurs parasols sur la plage, qui voient alors celle-ci s’encombrer d’un épais tapis de débris de posidonies arrachés par les vagues aux mattes (herbiers) prospérant à quelques encablures du rivage. Les baigneurs délicats conservent toutefois la possibilité d’aller se réfugier sur les plages de la Badine et de la Bergerie qui, situées de l’autre côté (est) de la presqu’île, sont toujours bien abritées de l’importun…
Malheureusement le Mistral soulève aussi des vagues qui, quand il monte brusquement, peuvent devenir redoutables pour les petites embarcations, celles notamment dont le « capitaine » a négligemment appareillé sans consulter la météo marine, et surtout il facilite le déclenchement et la propagation des incendies de forêt auxquels il peut donner les proportions d’immenses catastrophes.
En bord de mer, le Mistral imprime sa marque dans la brousse littorale qu’il semble tailler en brosse, obligeant de grands pins à ramper. Ce faciès très particulier de la végétation est bien visible, voire spectaculaire, à la pointe occidentale de la presqu’île (Pointe des Chevaliers), ou bien sur la rive sud de Porquerolles du côté de la Calanque de l’Indienne, particulièrement exposées au vent. Ces déformations ou « anémomorphose » ne sont pas dues ici comme on pourrait le penser à la poussée du vent, mais à la brûlure chimique par le sel des embruns, car seuls les bourgeons qui ne sont pas exposés se développent et la croissance est ainsi orientée.
Les brises côtières (« brise de mer / brise de terre »), d’origine thermique et à inversion diurne, sont particulièrement marquées en été et contribuent alors à tempérer quelque peu l’atmosphère torride des bords de mer jusqu’à quelques kilomètres dans l’arrière-pays.
On observe peu de jours de pluie, irrégulièrement répartis sur l’année (40 % en trois mois). Comme le montrent les diagrammes climatiques, il pleut surtout en automne et au printemps, mais il s’agit d’une tendance pluriannuelle, certains étés pouvant enregistrer de fortes pluies sous les orages.
Les précipitations annuelles vont de 400 à 800 millimètres et elles ont souvent un caractère très marqué d’averses qui entraîne des intensités remarquables pouvant dépasser 100 mm/heure pendant 6 minutes[2]. Leur volume diminue d’environ 100 mm de Hyères à La Capte, puis encore d’autant de La Capte à Porquerolles.
Des records d’ensoleillement…
Dans le sens nord-sud, en allant du centre de Hyères vers Giens et les îles, le climat s’envole vers toujours plus de lumière et de chaleur. Toutes ces localités s’inscrivent solidairement dans la zone la plus radieuse de la Provence, avec plus de 2700 heures d’ensoleillement par an.
Le ciel et la mer sont ici le plus souvent bleus et nous rappellent que le nom de Côte d’Azur est un choronyme1 attribué à l’écrivain-poète Stéphen Liégeard (1830-1925) dans son livre « La Côte d’Azur » publié en 1887.
Quelle sera l’évolution du climat en région Sud ?
Dans le contexte qui prévaut désormais, il n’est plus possible de parler du climat sans immédiatement s’inquiéter de son évolution dans le siècle, si ce ne sont les quelques décennies à venir.
On trouve à ce sujet d’intéressantes indications sur le site du GREC-SUD (Groupe Régional d’Experts Climat en Provence-Alpes-Côte d’Azur) :
« Si l’on compare les projections climatiques basées sur le scénario socio-économique le moins émetteur en gaz à effet de serre (RCP 2.6) et le scénario le plus émetteur (RCP 8.5), on constate que l’évolution future des températures estivales dépassera largement ce que les hommes ont connu depuis 10 000 ans. Les projections concernant les précipitations sont plus incertaines, mais la question de la ressource en eau est bien plus complexe que le simple cumul de précipitations et tient compte notamment de la fréquence des précipitations et de leur intensité, mais aussi des ressources distantes : par exemple, les précipitations neigeuses dans les Alpes pour alimenter les fleuves et rivières qui drainent la région PACA. »
En seulement soixante ans, la moyenne des maximaux estivaux a déjà augmenté de 2,5 °C. L’intensité des « épisodes méditerranéens » (voir aussi ici), pluies torrentielles qui dans l’arrière-pays s’abattent sur les versants du relief tournés vers la Méditerranée en prenant parfois un caractère catastrophique, est en hausse de 22 % depuis 1960 et leur fréquence a doublé. De manière générale, sous l’effet de la hausse de la température, l’atmosphère peut contenir davantage de vapeur d’eau, qui peut davantage se transformer en pluies, ce qui conduit à une intensification des précipitations. Le 6e rapport du GIEC confirme l’intensification attendue de ces épisodes de fortes précipitations si le réchauffement global continue à s’intensifier et dépasse 2 °C, ce qui correspond à son scénario… « optimiste ».
Vers 2050, la moyenne annuelle des températures pourrait même atteindre plus 5 °C selon un scénario « pessimiste », mais malheureusement fort probable. On doit alors s’attendre à une multiplication des vagues de chaleur pouvant dépasser les 90 jours de canicule par an, et à des périodes de sécheresse intenses et prolongées. Le nombre de jours supérieurs à 35 °C a déjà été multiplié par 2 entre la période 1990-2000 et 2010-2020. Et d’ici 2100 l’été pourrait s’étendre sur près de six mois, de mai à octobre, l’hiver tendant lui à disparaître pour ne plus durer qu’un mois[6].
S’il est certain qu’ils vont être considérables, les effets à moyen et long terme du changement climatique sur la biodiversité restent cependant difficiles à évaluer, car les prévisions d’évolution des précipitations ne sont pas aussi claires que celles des températures. On note déjà une certaine diminution du nombre de jours et de la quantité des « pluies efficaces » – les pluies supérieures à 30 mm qui en 1990 représentaient 40 % des apports n’en représentent plus que 25 % – mais à l’échelle annuelle, la fréquence et l’intensité des pluies ont pour l’instant peu évolué.
Michel AUTEM & Pierre VIGNES
1 Un choronyme est un toponyme (nom de lieu, de région ou de pays) issu d’une caractéristique géographique physique ou d’une particularité environnementale.
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Notes & Références (détails dans Base bibliographique) :
[1] HARRANT, H. & JARRY, D., 1964
[2] Quoique ce soit Charles Flahault (1852-1935) qui ait le premier proposé l’oliveraie comme marqueur du climat méditerranéen.
[3] Félix Lenoble et Louis Emberger sont même allés jusqu’à réfuter toute valeur indicatrice aux limites de l’olivier, car ils l’avaient considéré comme non indigène[1]. Ce point de vue a cependant été depuis contredit par l’archéobotanique, la biogéographie et la génétique[4].
[4] TASSIN, C., 2012
[5] ASCENCIO, E., 1983
[6] WANG & coll., 2021