Le désert vivant des fonds sableux de La Capte

La Presqu’île de Giens accueille chaque été des dizaines de milliers d’estivants, attirés par son climat et ses plages magnifiques, et heureux de se baigner et de se dorer au soleil. Certains d’entre eux, et tout particulièrement les enfants, s’équipent d’un masque et d’un tuba et tentent d’observer les fonds sableux. Mais ils ressortent de l’eau le plus souvent déçus et persuadés de n’avoir parcouru qu’un monde désertique que toute vie aurait abandonné. Pourtant il n’en est rien !

Certes, la mouvance permanente du fond et son remaniement fréquent par les mouvements de l’eau occasionnés par le gros temps, quand il y en a, auxquels s’ajoute aux faibles profondeurs le piétinement des baigneurs, empêchent la fixation et le développement d’une végétation stable et visible. Mais le Gapeau, petit fleuve côtier qui se jette au fond de la rade de Hyères, vient l’enrichir en éléments nutritifs. Il y crée ainsi les conditions propices au développement du plancton, qui lui-même vient alimenter une faune abondante et variée, dont la productivité s’est accrue depuis les dernières années du XXe siècle par suite d’une régression sensible de la pollution.

Mais cette faune des étendues sableuses se fait discrète et l’on doit faire montre de patience et d’astuce pour la débusquer. Par exemple, en s’éloignant un peu vers le large jusqu’au moment où l’on cesse d’avoir pied, il suffit de se tenir verticalement et d’agiter les palmes quelques centimètres au-dessus du fond sableux pour chasser le sable et dégager divers animaux enfouis.

On constate alors que les abords de La Capte recèlent une quantité et une diversité étonnantes d’invertébrés, vers, anémones aux allures de fleurs étranges ancrées dans le sable et s’y rétractant, jusqu’à disparaître complètement, à la moindre alerte, oursins souterrains couverts de fins piquants ressemblant à des soies de porc, mollusques variés tels qu’escargots de mer et bivalves.

Parmi ces derniers, on compte de bons comestibles, de surcroît abondants : coques, couteaux, solénocurtes, vernis, etc., qui ne sont pas protégés, mais dont une directive sanitaire européenne dissuade localement la récolte et la consommation.

Les solénocurtes trahissent leur présence par les deux gros trous sombres assez écartés, qui permettent à leurs volumineux siphons de communiquer avec l’eau de mer et de la faire circuler pour y puiser leur nourriture et l’oxygène dont ils ont besoin, et d’y rejeter leurs déchets. Ces étonnants « fruits de mer » atteignent cent cinquante grammes, malgré une coquille très réduite, voire vestigiale. Ils prennent une valeur emblématique au sein du petit peuple qui les entoure, tant est achevée leur adaptation à la survie dans cet environnement, physiquement des plus minimalistes.

Les poissons sont davantage visibles. Certains, comme les dorades, nagent en pleine eau, à distance du fond et des curieux, tandis que d’autres, comme les soles, très inféodées aux substrats meubles, se posent sur le sable dont elles prennent instantanément la couleur, par un extraordinaire pouvoir mimétique qui les fait disparaître du regard.


Michel AUTEM & Pierre VIGNES