La Presqu’île de Giens, au sud de Hyères, est constituée de collines rocheuses primaires (Giens est à 50 m, Escampobariou, le sommet, à 116 m). Avancées de 5 km en mer, ces collines sont entourées par la mer. La partie sud-est plus escarpée, et le chemin littoral, qui en fait le tour complet, dévoile, surtout au sud-ouest encore très sauvage, des paysages magnifiques de pins, de mer et de soleil.
Cette pseudo-île est reliée au continent par un isthme de 4 km dont l’originalité est d’être double. Il est en effet constitué de deux bandes de sables dunaires, ou « tombolos ». Le plus large, à l’est (400 m), est relativement urbanisé (La Capte, La Bergerie, Le Pousset) sous une pinède de pins parasols qui, en dehors des abords de l’hippodrome, est aujourd’hui fort dégradée. Cette ancienne dune se poursuit en fait par l’Ayguade et les Vieux Salins jusqu’à Miramar (port de La Londe-des-Maures).
Le tombolo occidental, très étroit (25 à 50 m) et donc particulièrement fragile, est utilisé depuis 1969 pour le passage d’une route et d’une conduite d’eau qui ont beaucoup contribué à sa dégradation, en dépit des efforts de la municipalité hyéroise et du Conservatoire du littoral pour lui restituer un semblant de son caractère sauvage et de sa flore rare de dunes côtières.
Entre les deux tombolos s’étend une zone lagunaire de 550 ha qui retient les eaux douces continentales qui lui parviennent par le nord et qui s’y équilibrent avec l’eau salée de la mer. Ainsi les collines autour de Hyères (le Fenouillet, les Maurettes, les Borrels, le Mont des Oiseaux, Costebelle) constituent un bassin versant local dont les eaux venaient naturellement alimenter les lagunes en arrière des dunes littorales, auxquelles venaient s’ajouter celles des petits fleuves côtiers, le Gapeau, le Pansard et le Maravenne à l’est. Fort malheureusement pour la biodiversité et le fonctionnement du milieu lagunaire originel, tout ce petit système hydrographique a été au cours des siècles profondément bouleversé par les hommes. Le principal de ces modestes ruisseaux, beaucoup trop canalisé pour les tortues endémiques cistudes qu’on y trouve encore, est le Roubaud, qui traverse Hyères et le parc Olbius Riquier, pour se jeter directement en mer à l’Ayguade, alors qu’autrefois il aboutissait dans la lagune qu’il contribuait à adoucir.
En « complément » de cette quasi-destruction de son système hydrographique originel, et pour aggraver encore le tableau, le double tombolo enserrait jadis un étang unique qui fut exploité pendant des siècles en lieu de pêche actif, jusqu’en 1848 où une large partie de la lagune a été transformée en marais salant. En 1995, le dernier exploitant en date, à savoir la Compagnie des Salins du Midi, a mis un terme à son activité locale et en 2001, à la suite de l’action de l’APG, l’ensemble du site a finalement été sanctuarisé (par acquisition) par le Conservatoire du littoral, qui en a confié la gestion à la communauté urbaine de Toulon-Méditerranée (TPM). Son biotope, quoique profondément artificialisé, est laissé désormais en libre évolution. Caractérisé par sa remarquable richesse ornithologique sur la voie des migrations, il tend aujourd’hui à se reconstituer sous la surveillance permanente des agents de TPM qui lui sont affectés et des permanents locaux de la LPO (Ligue pour la Protection des Oiseaux).
Sans preuve scientifique bien étayée, on explique trop souvent la formation du double tombolo par le rattachement de « l’île de Giens » au continent par des flèches de sable alimentées par les sédiments des rivières. Une explication plus solide se fonde sur ce que l’on sait de l’évolution du trait de côte depuis 18000 ans : au cœur de la dernière époque glaciaire (Würm), le niveau de la mer se situait à 125 m sous son niveau actuel et les îles actuelles apparaissaient comme des collines, où les hommes de l’époque (dont les peintres de la grotte Cosquer de Cassis) pouvaient se rendre à pied.

Il y a 18000 ans, le niveau marin se situait vers -125 m du niveau actuel et le bord de mer était à 3 km au sud des îles, qui étaient alors de simples collines. On pouvait ainsi aller à pied de Hyères au Levant.
Vers -15000 ans (limite rouge), la mer, remontée à -50 m, commence à passer entre Porquerolles et l’île alors unique Bagaud – Port-Cros – Le Levant. Les rivières, comme le Gapeau, le Pansard et le Maravenne, devaient obligatoirement atteindre la mer et d’ailleurs les tracés de leurs lits fossiles, aujourd’hui sous la mer, ont pu être partiellement caractérisés par les géophysiciens.
Les plages et les criques rocheuses se situaient alors au sud des îles actuelles, qui en fait ne le sont devenues qu’à la suite de la remontée des eaux, la dernière à venir étant Porquerolles. À mesure le sable des plages, drossé par la mer, et les embouchures des rivières ont reculé vers le continent.
Ainsi, en cette fin du Quaternaire, Giens est plutôt en train de devenir une île ! Et les plages, en reculant, viennent se rejoindre derrière la future « île » de Giens. Il semble bien que ce phénomène d’insularisation en cours de Giens ne doive que s’accélérer si on s’en remet aux prévisions des océanographes de montée du niveau des mers en lien avec le réchauffement climatique.
Michel AUTEM & Jean SOUGY
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Notes et références