Association pour la protection du patrimoine naturel provençal
Catégorie Base de connaissances
Tous les articles de l’APG exposant ses connaissances sur l’environnement hyérois.
(parcs et jardins)
Quand les naturalistes s’intéressent à la biodiversité et à ses paysages, ils cherchent en général à retrouver et à caractériser l’authenticité des formations naturelles locales, à la manière de ce que nous proposons modestement dans les autres fiches composant ce chapitre consacré aux « ensembles écologiques du pays hyérois » : maquis, forêt, littoral rocheux, herbiers de Posidonie, etc. Il n’existe pourtant pratiquement plus dans nos vieux pays, mis à part peut-être leurs fonds marins, de paysages qui ne soient marqués de l’empreinte de l’Homme, même ceux qui nous semblent les plus préservés et qui ne sont le plus souvent que d’anciennes cultures réensauvagées à la suite d’exodes ruraux.
On a ainsi coutume de rappeler que la forêt française n’a jamais été aussi étendue qu’à notre époque et la Provence ne fait pas exception, elle dont les forêts d’Yeuse (Chêne vert) et de Chêne blanc, qui couvrent aujourd’hui des centaines de milliers d’hectares [1], avaient été autrefois complètement décimées par les charbonniers et les éleveurs.
Mais il est un autre domaine que les naturalistes un peu trop puristes tendent, à tort à notre avis, à dédaigner, pour ne pas dire à snober, et à délaisser au profit des horticulteurs, des paysagistes et des agronomes, c’est celui totalement anthropisé des parcs et jardins, et son prolongement dans la campagne agricole. Or celui-ci prend à Hyères une dimension véritablement exceptionnelle, accumulant des merveilles qui devraient susciter l’intérêt de tout botaniste.
Et à tout seigneur, tout honneur : les palmiers ! C’est grâce à leur variété le long de ses avenues, qu’ils imprègnent d’un parfum exotique, que la « Cité des palmiers » s’est construit sa réputation internationale et a mérité son surnom. L’acclimatation d’essences exotiques, facilitée par le climat local (plus de 3000 heures d’ensoleillement par an et un gel rarissime), fait la richesse des parcs Alphonse Denis et Olbius Riquier, du Conservatoire botanique national de Porquerolles, ainsi que de nombreux jardins privés, égayés par leurs citronniers, orangers, magnolias, plaqueminiers…
Ces regroupements de plantes n’ayant pas les mêmes origines, ni souvent les mêmes besoins, peuvent sembler singulièrement hétéroclites, voire choquants pour les naturalistes qui se consacrent aux milieux « naturels », mais ils peuvent s’avérer de parfaites réussites sur le plan de l’esthétique. C’est par exemple le cas de l’avenue Alfred Decugis, qui relie Hyères à l’Ayguade, embellie et « climatisée » par une voûte de pins parasols majestueux entre lesquels ont été intercalés des palmiers courts et des lauriers-roses qui fleurissent dans plusieurs tons.
Propagé par les Romains, le Pin parasol (Pinus pinea) a peut-être la Corse pour berceau. Les palmiers, eux, proviennent de divers pays tropicaux de plusieurs continents. À l’état sauvage, le Laurier-rose (Nerium oleander) est un riverain des oueds méditerranéens. Tous trois coexistent paisiblement en ce lieu dans une composition paysagère harmonieuse, symbole d’ouverture et de tolérance.
La campagne hyéroise est aussi le pays béni des cultures vivrières et florales, en pleine terre comme le permet le climat, ou sous serre pour obéir à des impératifs plutôt économiques, avec la présence d’une nappe phréatique bien approvisionnée et s’étalant à faible profondeur sous la vaste plaine alluviale du Gapeau.
L’Artichaut de Hyères bénéficie d’une excellente image de marque.
Un peu à l’écart, sur les coteaux des Borrels, prospère un domaine viticole de qualité, donnant des vins généreux.
Enfin, la fleur coupée est une spécialité hyéroise qui s’exporte vers de nombreux pays. Les rosiéristes du cru sont les inventeurs de variétés nouvelles de la reine des fleurs. D’autres horticulteurs se spécialisent dans le Glaïeul, l’Anémone, ainsi que l’Iris dont le public peut venir admirer les champs multicolores lors de journées « portes ouvertes » au printemps.
La complaisance du contexte géographique pour toutes les sortes de cultures a justifié la présence d’un grand lycée agricole sur le territoire de la commune.
Michel AUTEM & Pierre VIGNES
__________________________ Notes & références
Dans le Var la forêt couvre 62 % du territoire, contre 29 % à l’échelle nationale[⬉]
La Presqu’île de Giens accueille chaque été des dizaines de milliers d’estivants, attirés par son climat et ses plages magnifiques, et heureux de se baigner et de se dorer au soleil. Certains d’entre eux, et tout particulièrement les enfants, s’équipent d’un masque et d’un tuba et tentent d’observer les fonds sableux. Mais ils ressortent de l’eau le plus souvent déçus et persuadés de n’avoir parcouru qu’un monde désertique que toute vie aurait abandonné. Pourtant il n’en est rien !
Certes, la mouvance permanente du fond et son remaniement fréquent par les mouvements de l’eau occasionnés par le gros temps, quand il y en a, auxquels s’ajoute aux faibles profondeurs le piétinement des baigneurs, empêchent la fixation et le développement d’une végétation stable et visible. Mais le Gapeau, petit fleuve côtier qui se jette au fond de la rade de Hyères, vient l’enrichir en éléments nutritifs. Il y crée ainsi les conditions propices au développement du plancton, qui lui-même vient alimenter une faune abondante et variée, dont la productivité s’est accrue depuis les dernières années du XXe siècle par suite d’une régression sensible de la pollution.
Mais cette faune des étendues sableuses se fait discrète et l’on doit faire montre de patience et d’astuce pour la débusquer. Par exemple, en s’éloignant un peu vers le large jusqu’au moment où l’on cesse d’avoir pied, il suffit de se tenir verticalement et d’agiter les palmes quelques centimètres au-dessus du fond sableux pour chasser le sable et dégager divers animaux enfouis.
On constate alors que les abords de La Capte recèlent une quantité et une diversité étonnantes d’invertébrés, vers, anémones aux allures de fleurs étranges ancrées dans le sable et s’y rétractant, jusqu’à disparaître complètement, à la moindre alerte, oursins souterrains couverts de fins piquants ressemblant à des soies de porc, mollusques variés tels qu’escargots de mer et bivalves.
Parmi ces derniers, on compte de bons comestibles, de surcroît abondants : coques, couteaux, solénocurtes, vernis, etc., qui ne sont pas protégés, mais dont une directive sanitaire européenne dissuade localement la récolte et la consommation.
Les solénocurtes trahissent leur présence par les deux gros trous sombres assez écartés, qui permettent à leurs volumineux siphons de communiquer avec l’eau de mer et de la faire circuler pour y puiser leur nourriture et l’oxygène dont ils ont besoin, et d’y rejeter leurs déchets. Ces étonnants « fruits de mer » atteignent cent cinquante grammes, malgré une coquille très réduite, voire vestigiale. Ils prennent une valeur emblématique au sein du petit peuple qui les entoure, tant est achevée leur adaptation à la survie dans cet environnement, physiquement des plus minimalistes.
Les poissons sont davantage visibles. Certains, comme les dorades, nagent en pleine eau, à distance du fond et des curieux, tandis que d’autres, comme les soles, très inféodées aux substrats meubles, se posent sur le sable dont elles prennent instantanément la couleur, par un extraordinaire pouvoir mimétique qui les fait disparaître du regard.
Les fonds marins meubles, à partir de quelques mètres de profondeur, ainsi que la roche fissurée, favorable à un ancrage dès la surface, sont colonisés par une prairie verte et drue. Toute aquatique qu’elle soit, l’herbe qui y exerce son hégémonie n’est pas une algue, organisme primitif s’il en est, mais une authentique plante supérieure très évoluée, avec ses vraies racines, tiges, feuilles, fleurs et graines. Il s’agit de la Posidonie, ou herbe de Poséidon, dieu grec de la mer.
La tradition locale nomme « herbier » cette prairie et « mattes » les récifs-barrières qu’elle édifie patiemment au cours d’une croissance verticale séculaire. Les paysages sous-marins qu’elle engendre sont souvent monotones, mais cette uniformité est un gage de bonne santé et cache sa richesse, une vie animale grouillante et colorée : poissons de soupe et de bouillabaisse, poulpes et seiches, oursins aux nuances variées (récolte interdite l’été !), la Grande nacre(Pinna nobilis), très rigoureusement protégée qui est, comme l’huître et la moule, un bivalve, mais de grande taille et qui vit « plantée » dans le sable, etc. À tous ses hôtes l’herbier offre un gîte hospitalier, un couvert généreux et une nurserie abritée.
La Posidonie et son cycle de reproduction.
L’herbier de posidonies illustre brillamment une loi de la nature, qui apparaît universelle, celle dite « des séries » ou « successions végétales » : sur terre autant que sous la mer, la végétation démarre sur les substratums nus, qu’ils soient meubles ou rocheux, par l’installation d’espèces pionnières primitives et modestes, essentiellement cryptogamiques (c’est-à-dire des plantes sans fleurs), des lichens et des mousses dans un cas, des algues dans l’autre. Quand les conditions de vie s’améliorent, notamment du fait de la formation d’un premier sol, des végétaux de plus en plus évolués arrivent à s’installer et à se développer, qui accueillent ensuite une faune de plus en plus diversifiée.
L’exubérance étonnante que peuvent atteindre ces peuplements d’herbiers ne constitue pas, hélas, un acquis définitif. Des causes diverses, certaines naturelles et difficiles voire impossibles à maîtriser, comme l’intrusion d’espèces invasives, ou d’autres, engendrées par l’Homme, dont la pollution est la plus insidieuse en mer, sont susceptibles de menacer gravement ces formations, en les appauvrissant et en en réduisant l’étendue. Ces agressions de la biocénose se traduisent alors par sa régression vers des états immatures et engendrent le retour d’espèces pionnières primitives, notamment la prolifération d’algues vertes indigènes, ou parfois exotiques comme la Caulerpa taxifolia, qui, qualifiée d’« algue tueuse », a un moment défrayé la chronique et effrayé le monde de l’écologie par sa toxicité, associée à une croissance et un potentiel invasif exceptionnels, pour finalement… entrer en régression, voire en disparition spontanée en Méditerranée ! En 2015, elle avait déjà disparu de 80 % des sites qu’elle avait colonisés, sans qu’on ait encore la moindre explication étayée du phénomène, ce qui avouons-le ne nous empêchera pas de nous réjouir de cette excellente nouvelle, elles sont si rares en matière d’environnement…
Dans son contexte géographique exceptionnel, Hyères est une commune à la fois continentale, péninsulaire et insulaire. Le partage des terres et des eaux y est presque aussi compliqué qu’au temps du Chaos !
Les étangs sont cernés par des sansouires, encore appelées prés-salés, c’est-à-dire des étendues plates, généralement exondées, mais qui tout de même peuvent être plus ou moins régulièrement inondées par les eaux marines ou saumâtres. Elles se caractérisent par une formation végétale très particulière, constituée principalement de roseaux, de joncs et de salicornes, qui recherche des milieux humides tout en tolérant bien la présence du sel (végétation « halophile »).
La Salicorne (Salicornia europaea et S. fruticosa) est un arbrisseau ligneux dont les jeunes tiges, aux feuilles presque avortées, sont faites d’une succession d’articles charnus qui lui donne un aspect boudiné. Elle doit son aspect faciès de « plante grasse » à la rétention de l’eau, due au sel qu’elle accumule dans ses tissus.
La Salicorne ligneuse (Salicornia fruticosa) – (CC) Michel AUTEM/APG.
Les dunes des flèches littorales du double « tombolo », notamment la plus étroite du côté ouest, sont des milieux de vie encore plus ingrats où la soif des plantes, liée à la charge du sol en sel marin après évaporation, est aggravée par la perméabilité du sable et sa surélévation. La plus belle parure de ces dunes est leLis de mer(Pancratium maritimum), espèce protégée dont la cueillette est interdite. C’est en réalité une sorte de narcisse qui doit son surnom à sa blancheur éclatante.
Le Lis maritime (Pancratium maritimum) – (CC) Michel AUTEM/APG.
La plaine hyéroise était jadis constellée d’étangs, grands ou petits. Le nom de l’aéroport du Palyvestre est une déformation coquette de « paluestre », mot lui-même dérivé de « palu(d) » qui désigne un marais. Hors des pistes, le terrain n’y est d’ailleurs pas entièrement asséché.
Ailleurs, plusieurs étangs persistent. Les plus vastes sont celui des Pesquiers, en grande partie transformé en un marais salant dont l’exploitation a été abandonnée en 1995, et celui des Vieux Salins. Aujourd’hui constitués en réserves intégrales de biodiversité, ils hébergent une faune et une flore adaptées aux zones humides saumâtres. La population la plus visible est celle des oiseaux, dont la vedette incontestée auprès des touristes est certainement le Flamant rose(Phoenicopterus roseus). Si on voulait en faire une caricature pour amuser les enfants, on pourrait dire de ce volatile hors normes que c’est un canard déguisé en héron : il emprunte au second ce que La Fontaine nommait « longs pieds, long bec et long cou », mais il possède aussi du premier les pattes palmées et le bec lamelleux, adapté à la filtration des petits organismes vivants dans la vase et qui constituent l’essentiel de son alimentation. Les flamants cohabitent pacifiquement avec de nombreux autres échassiers et palmipèdes, et plus d’une cinquantaine d’espèces de passereaux et de rapaces.
Quand un groupe de flamants prend son envol, dans une superbe formation en « V », ils ne « ramènent pas leurs trains d’atterrissage », comme le font habituellement la plupart des oiseaux : leurs longues pattes restent dans le prolongement du corps qu’elles équilibrent.
La végétation de notre Terre s’organise dans le sens vertical selon un phénomène d’étagement. Mais alors qu’en montagne, dans les Alpes par exemple, chaque étage s’étend sur des centaines de mètres de dénivelée, sur le littoral rocheux de Méditerranée c’est sur quelques mètres, décimètres, voire parfois centimètres, que se manifeste la zonation verticale de la vie végétale.
Ici, on ne connaît pas les marées lunaires, mais de faibles marées barométriques, de l’ordre de quelques dizaines de centimètres seulement, qui de surcroit n’obéissent à aucun rythme précis.
L’étage étroit qui s’inscrit entre les niveaux des eaux les plus hautes et des plus basses est dit médiolittoral. En dessous vient l’étage infralittoral, toujours immergé, et au-dessus l‘étage supralittoral, encore marin car atteint par les vagues dès que la mer se fâche un peu.
« Trottoir » médiolittoral – (CC) Michel AUTEM / APG.
Plus haut encore, on distingue un étage dit littoral terrestre, lui-même divisé en plusieurs niveaux. Il débute en bas par un no man’s land, se poursuit avec une ceinture à Criste marine (ombellifère charnue), puis une ceinture à Cinéraire maritime(Jacobaea maritima). Enfin une brousse odorante à Myrte(Myrtus communis) et Pistachier lentisque(Pistacia lentiscus) assure la transition avec le maquis ou la forêt.
La Cinéraire maritime (à gauche) et le Myrte commun (à droite) (CC) Michel AUTEM / APG & Alain VITTELO / APG.
À partir de là, la mer n’influe plus sur l’identité des plantes, mais elle exerce encore sa tyrannie sur leur aspect, en sculptant les avant-postes de la forêt, taillés en brosse.
Une promenade le long du sentier littoral, des « pieds dans l’eau » à la pointe de la Badine jusqu’au bas, plus « sportif », des falaises d’Escampobariou, permet d’observer pleinement ces formations.
Les ceintures littorales marines sont serrées et colorées. Elles diffèrent d’un secteur de côte à un autre, selon le degré d’agitation, l’éclairement, ou encore la santé des eaux.
Observation à Giens des ceintures marquant les étages littoraux – (CC) Pierre VIGNES / APG.
Sur l’exemple choisi, on distingue clairement cinq ceintures. Il n’est pas question ici de les décrire en détail. On notera seulement quelques tendances. La ceinture « 1 » est recouverte d’une pellicule d’algues microscopiques, là où la roche paraît nue. La « 2 » n’est occupée que par des algues temporaires qui meurent l’été. La « 3 » est revêtue par une algue blanche vivace, mais pas plus épaisse qu’une couche de laque. La « 4 » et la « 5 » acceptent des algues à la fois plus volumineuses et plus vivaces. Dans la « 5 » cohabitent des algues en pompons, de plusieurs couleurs et sans parenté entre elles. L’amélioration des conditions de vie aquatiques culmine encore plus bas sous l’eau avec l’herbier de Posidonie.
Hyères chevauche la « Provence cristalline » et la « Provence calcaire », mais bien timidement pour la seconde qui prend naissance au Mont des Oiseaux. Sur les terrains cristallins, le sol est suffisant pour permettre une réparation des feux de forêt ou de maquis en quelques années. En outre, sa nature chimique favorise le chêne-liège, peu combustible dans sa combinaison ignifugée, et des « plantes-phénix » qui renaissent de leurs cendres en émettant de nombreux rejets à partir de la souche, telles que l’arbousier et la bruyère arborescente, ainsi que la bruyère à balais et quelques autres.
Les vieux massifs cristallins représentent l’essentiel des reliefs de la commune hyéroise, dont le territoire est particulièrement étendu : hauteurs des Maurettes, avec le point culminant du Fenouillet qui, comme son nom l’indique, sont un premier contrefort du massif des Maures, monts de Giens et des îles d’Or, Porquerolles, Port-Cros, île du Levant. Ils sont le domaine de la nature demeurée aujourd’hui encore la plus sauvage en Provence, même si elle diffère de ce qu’elle fut avant que l’homme n’y imprime ses nuisances.
Selon l’exposition, les coupes, les incendies, on y observe un patchwork de futaie de chêne blanc, de taillis de chêne vert, de pinède de pin d’Alep ou de maquis à bruyère arborescente et arbousier. Ces formations sont souvent peu pénétrables en dehors des sentes de chasseurs.
Les vacanciers connaissent d’autant plus mal ces massifs boisés que la canicule estivale dissuade de s’y aventurer. Quel dommage pour eux de ne pas découvrir Hyères aux quatre saisons !
L’automne fait resplendir les arbousiers, mêlant à leurs feuilles de laurier, oblongues, des baies aux airs de fraises et des fleurs en grelots, belles comme du muguet. C’est aussi la saison des champignons, cèpes et oronges sous les chênes, lactaires délicieux et lactaires sanguins sous les pins…
L’arbousier (Arbutus unedo L., 1753) présente la particularité de porter simultanément des fleurs et des fruits – (CC) APG.
En hiver, la floraison ne s’arrête pas, grâce à des plantes opiniâtres comme le romarin, encore paré de ses fleurs bleues. Les collines sont plus verdoyantes que jamais. En effet, la douceur des températures, associée à la fin de la sécheresse, permet aux arbres et aux arbrisseaux, mêlés de lianes, de conserver leur feuillage. Comme le port buissonnant de ces plantes, leurs petites feuilles coriaces et persistantes traduisent à la fois les bons et les mauvais effets du climat méditerranéen. Contrairement aux touristes, nos forêts et nos maquis souffrent des rigueurs de la période estivale et marquent une nette préférence pour ce qu’il est convenu de nommer (ailleurs…) la « mauvaise saison ».
Dès le printemps, de nombreuses plantes à bulbes ou à tubercules égayent les sous-bois de leur floraison souvent vivement colorée, depuis la grande asphodèle aux fleurs blanches veinées de brun, jusqu’aux petites orchidées, protégées mais posant coquettement pour la photo, très variées, toujours belles, parfois rares, toutes un régal pour les naturalistes. Diverses espèces d’ophrys, aux déguisements d’insectes, sont les plus étranges de ces créatures insolites.
L’ophrys de Bertoloni (Ophrys bertolonii Moretti, 1823) – (CC) Marc VIDAL/APG.
La Presqu’île de Giens, au sud de Hyères, est constituée de collines rocheuses primaires (Giens est à 50 m, Escampobariou, le sommet, à 116 m). Avancées de 5 km en mer, ces collines sont entourées par la mer. La partie sud-est plus escarpée, et le chemin littoral, qui en fait le tour complet, dévoile, surtout au sud-ouest encore très sauvage, des paysages magnifiques de pins, de mer et de soleil.
Cette pseudo-île est reliée au continent par un isthme de 4 km dont l’originalité est d’être double. Il est en effet constitué de deux bandes de sables dunaires, ou « tombolos ». Le plus large, à l’est (400 m), est relativement urbanisé (La Capte, La Bergerie, Le Pousset) sous une pinède de pins parasols qui, en dehors des abords de l’hippodrome, est aujourd’hui fort dégradée. Cette ancienne dune se poursuit en fait par l’Ayguade et les Vieux Salins jusqu’à Miramar (port de La Londe-des-Maures).
Le tombolo occidental, très étroit (25 à 50 m) et donc particulièrement fragile, est utilisé depuis 1969 pour le passage d’une route et d’une conduite d’eau qui ont beaucoup contribué à sa dégradation, en dépit des efforts de la municipalité hyéroise et du Conservatoire du littoral pour lui restituer un semblant de son caractère sauvage et de sa flore rare de dunes côtières.
Entre les deux tombolos s’étend une zone lagunaire de 550 ha qui retient les eaux douces continentales qui lui parviennent par le nord et qui s’y équilibrent avec l’eau salée de la mer. Ainsi les collines autour de Hyères (le Fenouillet, les Maurettes, les Borrels, le Mont des Oiseaux, Costebelle) constituent un bassin versant local dont les eaux venaient naturellement alimenter les lagunes en arrière des dunes littorales, auxquelles venaient s’ajouter celles des petits fleuves côtiers, le Gapeau, le Pansard et le Maravenne à l’est. Fort malheureusement pour la biodiversité et le fonctionnement du milieu lagunaire originel, tout ce petit système hydrographique a été au cours des siècles profondément bouleversé par les hommes. Le principal de ces modestes ruisseaux, beaucoup trop canalisé pour les tortues endémiques cistudes qu’on y trouve encore, est le Roubaud, qui traverse Hyères et le parc Olbius Riquier, pour se jeter directement en mer à l’Ayguade, alors qu’autrefois il aboutissait dans la lagune qu’il contribuait à adoucir.
En « complément » de cette quasi-destruction de son système hydrographique originel, et pour aggraver encore le tableau, le double tombolo enserrait jadis un étang unique qui fut exploité pendant des siècles en lieu de pêche actif, jusqu’en 1848 où une large partie de la lagune a été transformée en marais salant. En 1995, le dernier exploitant en date, à savoir la Compagnie des Salins du Midi, a mis un terme à son activité locale et en 2001, à la suite de l’action de l’APG, l’ensemble du site a finalement été sanctuarisé (par acquisition) par le Conservatoire du littoral, qui en a confié la gestion à la communauté urbaine de Toulon-Méditerranée (TPM). Son biotope, quoique profondément artificialisé, est laissé désormais en libre évolution. Caractérisé par sa remarquable richesse ornithologique sur la voie des migrations, il tend aujourd’hui à se reconstituer sous la surveillance permanente des agents de TPM qui lui sont affectés et des permanents locaux de la LPO (Ligue pour la Protection des Oiseaux).
Sans preuve scientifique bien étayée, on explique trop souvent la formation du double tombolo par le rattachement de « l’île de Giens » au continent par des flèches de sable alimentées par les sédiments des rivières. Une explication plus solide se fonde sur ce que l’on sait de l’évolution du trait de côte depuis 18000 ans : au cœur de la dernière époque glaciaire (Würm), le niveau de la mer se situait à 125 m sous son niveau actuel et les îles actuelles apparaissaient comme des collines, où les hommes de l’époque (dont les peintres de la grotte Cosquer de Cassis) pouvaient se rendre à pied.
Évolution du trait de côte depuis la dernière période glaciaire (Würm) Il y a 18000 ans, le niveau marin se situait vers -125 m du niveau actuel et le bord de mer était à 3 km au sud des îles, qui étaient alors de simples collines. On pouvait ainsi aller à pied de Hyères au Levant. Vers -15000 ans (limite rouge), la mer, remontée à -50 m, commence à passer entre Porquerolles et l’île alors unique Bagaud – Port-Cros – Le Levant. Les rivières, comme le Gapeau, le Pansard et le Maravenne, devaient obligatoirement atteindre la mer et d’ailleurs les tracés de leurs lits fossiles, aujourd’hui sous la mer, ont pu être partiellement caractérisés par les géophysiciens.
Les plages et les criques rocheuses se situaient alors au sud des îles actuelles, qui en fait ne le sont devenues qu’à la suite de la remontée des eaux, la dernière à venir étant Porquerolles. À mesure le sable des plages, drossé par la mer, et les embouchures des rivières ont reculé vers le continent.
Ainsi, en cette fin du Quaternaire, Giens est plutôt en train de devenir une île ! Et les plages, en reculant, viennent se rejoindre derrière la future « île » de Giens. Il semble bien que ce phénomène d’insularisation en cours de Giens ne doive que s’accélérer si on s’en remet aux prévisions des océanographes de montée du niveau des mers en lien avec le réchauffement climatique.
Géologie simplifiée de la Presqu’île de Giens. Carte d’après Jean SOUGY.
Hyères, Giens et les îles correspondent à un bâti géologique varié dont on peut lire l’histoire à travers les pierres et les paysages, de 500 millions d’années à nos jours.
La mer Méditerranée est un vestige du paléo-océan Téthys. Quand celui-ci a commencé à se refermer, vers -150 Ma (Ma : « millions d’années »), c’est à dire à la fin de la période jurassique, le bassin méditerranéen s’est progressivement individualisé sous la forme que nous lui connaissons quand, vers -70 Ma, la plaque tectonique africaine a entamé un déplacement vers le nord l’amenant à affronter celle de l’Eurasie. La rencontre des deux plaques et les pressions titanesques qu’elle a engendrées ont plissé l’écorce terrestre, créant la succession des massifs montagneux qui ceinturent la Méditerranée, dont la chaîne alpine (ou « alpino-himalayenne », -70 à -30 Ma) est le principal. Cette orogenèse récente (à l’échelle géologique…) est venue se surimposer à celle, beaucoup plus ancienne, de la chaîne hercynienne (ou « varisque », -320 à -300 Ma).
Ces deux grands mouvements tectoniques ont marqué le territoire de la commune de Hyères et il y a là et dans les environs un merveilleux musée naturel qui peut être expliqué aux écoliers et aux lycéens et intéresser certains visiteurs. Cette variété des terrains entraîne une grande diversité des sols et en conséquence de la végétation naturelle et des cultures.
Hyères se situe à l’exacte limite de la « Provence cristalline » et de la « Provence calcaire » (et argileuse).
Géologie simplifiée de la Provence [Carte d’après Michel CRIVELLARO/www.passionprovence.org].
La « Provence cristalline », d’âge primaire, est constituée de sédiments formés entre 500 et 350 Ma, ensuite enfouis, métamorphisés et fortement déformés vers 320 Ma lors de la formation de la chaîne hercynienne. Tout le massif des Maures en est constitué et son extrémité occidentale se situe précisément dans la commune, sous la forme des sommets du château de Hyères, du Fenouillet et des Maurettes.
On retrouve ses schistes et ses quartzites à Giens et dans l’ensemble des îles. Ils constituent de vives arêtes dans le paysage. À Giens, les plis complexes dus aux déformations hercyniennes, repliés plusieurs fois, sont spectaculaires pour ceux qui savent les voir… ou se les faire montrer.
Les quartzites du Fenouillet sont les mêmes que ceux du cap des Mèdes, à Porquerolles. L’APG y a d’ailleurs retrouvé en 2012, dans des phyllades, des fossiles de graptolites du Silurien, d’environ 420 à 440 Ma, parfaitement identiques à ceux décrits depuis longtemps au Fenouillet[1]. Leur présence à cet endroit avait déjà été mentionnée par le passé, mais jamais formellement documentée et on avait perdu leur trace. Les graptolites restent à ce jour les seuls fossiles primaires connus du massif des Maures.
En fait ces terrains anciens se prolongent à l’ouest, sous la Provence calcaire, plongeant progressivement jusqu’à six à huit kilomètres de profondeur sous le Rhône et la Camargue, et réapparaissant ensuite dans le Massif central, où ils sont remontés par une succession de failles.
La « Provence calcaire », à l’ouest de la commune, est quant à elle constituée de terrains plus récents, dont les âges s’échelonnent de la fin de l’ère primaire (Permien) à celle de l’ère secondaire (Crétacé). Elle comporte une couverture sédimentaire, d’abord d’argiles et de grès continentaux provenant de l’érosion entre -290 à -210 Ma de la chaîne hercynienne, et dont les affleurements rouges, propices aux vignobles, affleurent bien de l’Almanarre à Carqueiranne, comme dans toute la dépression (« fossé permien ») qui s’étire de Toulon au Luc.
Le reste de l’ère secondaire (Jurassique et Crétacé) est marqué par une transgression de la « Mer alpine », qui pendant près de 100 Ma va recouvrir la région de ses eaux chaudes et profondes, ce qu’on sait par les nombreux fossiles qu’on y a découverts (dont un énorme Ichthyosaure au Thoronet), et de dépôts calcaires marins et récifaux, très visibles aux monts Coudon et Faron, près de Toulon.
La fin de l’ère secondaire (vers -70 Ma) correspond au début des grandes déformations alpines, qui ont laissé leurs traces au Mont des Oiseaux et au Paradis, dont les séries calcaires ont été déplacées en nappes venant manifestement d’ailleurs.
Au Tertiaire, puis au Quaternaire, la chaîne alpine connaît à son tour une destruction érosive. Les mouvements tectoniques en Méditerranée écartent l’axe Corse-Sardaigne de la masse du continent et creusent une mer profonde dans l’intervalle qui les sépare de plus en plus des Maures. Les fonds marins face à Giens descendant vite à -2500 mètres.
Enfin, l’histoire récente (à l’échelle géologique…) est quant à elle surtout marquée par les fluctuations du niveau marin et du climat.
Jean SOUGY
____________________ Notes et références
BOIVIN, S., LAVILLE, P. & SOUGY, J. (2012) Confirmation et description d’une espèce de graptolite dans l’île de Porquerolles (Var, France), Sci. Rep. Port-Cros natl. Park, 26: 239-241 [⬉]
La Presqu’île de Giens, avec les îles d’Or et la ville de Hyères-les-Palmiers, constitue, au point le plus au sud de la Côte d’Azur, un ensemble extraordinaire, tant par la beauté et l’originalité de ses paysages que par son climat ensoleillé et sa douceur de vivre. Un vrai paradis !
La position du site dans le bassin de Méditerranée occidentale est tout aussi remarquable. De même que la pointe du Raz est dirigée vers l’Ouest et l’Amérique, la Presqu’île de Giens est pointée vers le Sud et l’Afrique. Axée nord-sud sur une côte plutôt est-ouest, elle s’avance en mer de cinq kilomètres, précédée de son chapelet d’îles : le Grand et le Petit Ribaud, Porquerolles, Bagaud, Port-Cros et le Levant, appelées aussi les Stoechades, d’un mot grec qui évoque leur caractère aligné. C’est par rapport à cet axe nord-sud de la presqu’île que se disposent symétriquement les côtes ibériques et italiennes du bassin. On notera que les îles sont à la même latitude (43°N) que le Cap Corse situé donc plein est.
La presqu’île est bien connue des géographes pour son double tombolo, c’est-à-dire deux bandes de sable de quatre kilomètres isolant une étendue lagunaire, traitée jusqu’à récemment pour le sel. Ce genre de phénomène naturel est très rare, mais on en connaît cependant deux autres exemples en Méditerranée occidentale : la presqu’île d’Ifach-Calpe (en Espagne), et surtout l’extraordinaire triple tombolo d’Orbetello (Italie).
La diversité des milieux, aussi bien en mer qu’à terre, fonds sableux ou rocheux, plages et criques encaissées, dunes littorales, marais d’eau salée, saumâtre ou douce, ripisylve, maquis, forêt méditerranéenne, pinèdes, cultures, vignes, explique les nombreux biotopes, les flores très diverses, la faune très riche notamment pour ses insectes et ses oiseaux, dont les flamants sont les plus remarqués du public parmi plus de 200 espèces dont beaucoup de migrateurs. La baie de Hyères et le golfe de Giens contiennent aussi les herbiers de posidonie (plante à fleurs) les plus étendus de la côte méditerranéenne française.
En plus des bains de mer, le site est particulièrement favorable à la plongée sous-marine, à la plaisance et à la planche à voile. Mais il est également bien situé en Provence comme base pour des excursions et randonnées vers l’intérieur: dans les Maures cristallines qui débutent au Fenouillet sur la commune de Hyères et dans le Verdon calcaire dont les célèbres canyons ne sont qu’à 70 km à vol d’oiseau. Et ces promenades et randonnées sont possibles toute l’année.
Mais ces attraits ont hélas un inconvénient : la forte pression immobilière qui a transformé une partie de la Riviera en mur de béton se tourne maintenant, « pour l’aménager », vers une zone ayant su garder encore beaucoup de ses richesses naturelles. Un équilibre entre la protection écologique et les nécessités de la vie économique est difficile à trouver.
En Méditerranée, le commerce maritime est intense et Marseille en est déjà une plaque tournante. Les navires, tel celui datant des années -300 et dont on a retrouvé l’épave à la pointe du Lequin à Porquerolles, viennent régulièrement s’abriter ou faire relâche dans les Îles d’Or, que les Grecs appellent « les Stœchades ». Celles-ci sont alors habitées, comme tout le littoral provençal, par une petite population ligure et peut-être celte.
Vers -600 av. J.-C. Les Grecs, plus précisément les Phocéens sont déjà installés à Marseille, qu’ils appellent Massilia (Μασσαλία)…
Les Phocéens, dont la présence dans la presqu’île est attestée depuis un siècle au moins, fondent Olbia, « la bien heureuse », au fond du golfe de Giens, sur le territoire de ce qui est aujourd’hui le quartier en bord de mer de l’Almanarre. C’est un gros bourg (800 à 1000 habitants) fortifié, au plan militaire géométrique, qui sécurisait les escales et assurait l’accastillage des navires de commerce. Ils occupent également l’ensemble de la presqu’île. Les commerçants étrusques sont également très actifs dans la région, ce dont témoigne l’épave retrouvée à proximité de l’îlot du Grand Ribaud.
5e siècle av. J.-C. Installation des Phocéens
Leurs premières traces se trouvent à l’anse de la Galère à Porquerolles. Ils vont mettre l’île en valeur par l’agriculture pendant près de trois cents ans, en même temps qu’ils étendent leur emprise sur le littoral varois (villa Pardigon à La Croix-Valmer), puis toute la Provence. Olbia est reprise et étendue par une station de galères, Pomponiana, et de nombreux établissements et installations (puits, aqueduc, égouts, sépultures) ont été reconnus sur la presqu’île, ainsi qu’en mer de nombreuses épaves encore chargées d’ustensiles et d’amphores.
Vers -100 av. J.-C. Les Romains prennent le relais des Grecs et s’installent pour plus de quatre siècles
Il y a peu de doutes que la Provence ait connu des évêques dès le 1er siècle. Les faits deviennent cependant plus précis à partir du 3e siècle, avant le grand essor constantinien du siècle suivant. Dans l’actuelle région hyéroise, des monastères commencent à s’installer, d’abord sur les îles, où moines et cultivateurs partagent leurs lieux de vie, leurs places défensives et leurs hermitages. Les bâtiments (chapelles, églises) étaient extrêmement rares et ceux qui ont pu exister ont été détruits depuis par les persécutions romaines, les conflits, les guerres de religion, la Révolution française et les mesures républicaines de 1905.
3e et 4e siècles Malgré les persécutions, le christianisme, arrivé au siècle précédent dans le sud jusqu’à Lyon (Lugdunum), s’étend, d’abord progressivement, puis vigoureusement
C’est la période des invasions barbares, puis des fréquentes attaques des Sarrasins (à qui l’Almanare doit son nom : « le phare ») qui pillent et enlèvent des esclaves. L’habitat côtier est délaissé au profit des points hauts, plus faciles à défendre. Sous le règne du roi franc Gontran 1er de Burgondie, on assiste à l’abandon d’Olbia du fait de la submersion progressive du port et de l’augmentation continue de l’insécurité en bord de mer sous la dynastie mérovingienne.
Du 5e au 7e siècle L’affaiblissement, puis l’effondrement du monde romain engendrent insécurité et instabilité
Dans cette vidéo très pédagogique, qu’il nous a permis de republier depuis son site « Histoire de l’eau à Hyères », Michel AUGIAS synthétise l’impressionnante documentation historique, qu’il a collectée et étudiée au fil des plus de vingt années de recherches qu’il a consacrées au double tombolo de la Presqu’île de Giens et au-delà à la ville d’Hyères.
Le site de Michel recèle par ailleurs plusieurs autres vidéos détaillant quantité de trésors documentaires consacrés aux sources, aux cours d’eau et aux aménagements hydrauliques du pays hyérois.
Le pays hyérois et la presqu’île de Giens sont situés au cœur de la région française soumise au climat dit « méditerranéen », mais le dire c’est à la fois tout dire et ne rien dire, tant celui-ci apparaît marqué de particularités locales qui peuvent le rendre difficile à caractériser et à circonscrire géographiquement, surtout quand il n’est pas comme en France, confronté à d’autres zones climatiques bien différentes.
Biogéographie et climatologie, deux disciplines étroitement associées
Le domaine méditerranéen a longtemps été et reste d’ailleurs bien souvent présenté par les géographes comme une notion bioclimatique[1] : c’était simplement le domaine de « la végétation méditerranéenne » et notamment de l’olivier, espèce emblématique entre toutes. Et par extension, le climat méditerranéen est devenu celui du domaine homonyme.
Cette idée n’est pas infondée. Elle repose sur l’intuition que les végétaux, et de façon générale tous les organismes fixés, doivent nécessairement pour survivre et se développer « intégrer » les paramètres de leur environnement, à commencer par son climat et ses variations.
Mais quand les écobotanistes modernes, notamment ceux qui ont fondé la phytosociologie au début du XXe siècle, ont voulu aborder vraiment scientifiquement la question, elle a (comme c’est souvent le cas…) commencé à se compliquer singulièrement, pour ne pas dire à leur échapper ! D’abord aucune des espèces végétales possiblement indicatrices, tel l’olivier, ne semblait pouvoir à elle seule caractériser l’extension du domaine méditerranéen, car leurs distributions géographiques respectives, au lieu de se correspondre, ne se recouvraient jamais tout à fait, quand ce n’était pas pour une part très significative. On a pu par ailleurs établir, pour beaucoup d’entre elles, que leurs répartitions naturelles avaient été largement étendues, ou au contraire parfois restreintes par l’Homme. Le cas le mieux documenté est peut-être justement celui de l’olivier, certes d’origine méditerranéenne, mais aujourd’hui répandu à l’échelle mondiale, y compris dans des régions n’ayant franchement rien de méditerranéen, et dont bien souvent on ne sait même plus déterminer si les formes locales dites « sauvages » (oléastre) le sont réellement, ou bien le résultat de l’ensauvagement de plants amenés et cultivés par les hommes[2][3].
Les botanistes ont donc d’abord cherché d’autres espèces végétales, soit indicatrices du domaine méditerranéen, soit au contraire « méditerranophobes », puis, à partir de 1911 avec l’école de Montpellier menée par Charles FLAHAUT (1852-1935), à caractériser la végétation dans son ensemble. Mais si cette approche novatrice permit des progrès considérables dans les domaines de la cartographie de la végétation et de l’écologie botanique, elle souffrait, dans ceux de la biogéographie et de la climatologie, d’une limitation consubstantielle à son principe : fondée principalement sur des inventaires floristiques au niveau spécifique, elle ne permet pas de rapprocher des régions climatiquement similaires, mais géographiquement éloignées et couvertes d’une flore différente.
Et cette insuffisance de l’approche bioclimatique s’avère tout particulièrement gênante pour le climat méditerranéen, qui justement présente sur la planète plusieurs avatars, qualifiés de « pseudo-méditerranéens », qu’on peut rencontrer par exemple en Californie, en Afrique du Sud, dans le sud de l’Australie, au centre du Chili…, et dont leur mise en scène paysagée au Jardin botanique du Domaine du Rayol nous donne un aperçu. Ces régions, pourtant très éloignées, présentent des paysages végétaux fort typiques et qui se ressemblent « furieusement », tant au niveau global du paysage qu’à celui de la morphologie des végétaux, mais ce d’autant plus étrangement qu’ils sont composés d’espèces radicalement différentes[3] !
Toutes ces difficultés ont ainsi de plus en plus conduit les chercheurs à une caractérisation purement climatique du domaine méditerranéen
Un climat d’emblée très original quant au régime des températures, des pluies et des vents :
La formule est de Hervé Harrant et Daniel Jarry dans leur légendaire et irremplaçable petit « Guide du naturaliste dans le Midi de la France »[4].
Les eaux méditerranéennes, en moyenne plus chaudes que celles de l’Atlantique, déterminent en hiver la formation de zones cycloniques qui entrent en contact avec le front des perturbations d’origine atlantiques arrivant par le nord-ouest. En été prédominent au contraire les anticyclones tropicaux formés aux Canaries, porteurs d’un air chaud et humide, et ceux provenant des régions sahariennes, qui s’accompagnent d’une forte sécheresse.
Schématiquement, le climat hyérois est caractérisé par des hivers doux – il ne neige pratiquement jamais – et des étés chauds et secs, avec un record d’aridité en juillet, un ensoleillement important, des vents fréquents qui peuvent être violents, et bien sûr l’influence dominante de la mer.
Il n’est cependant pas homogène et la presqu’île de Giens marque la coupure entre deux grands ensembles provençaux : – Vers l’ouest, le climat est de type « marseillais », particulièrement sec et soumis aux emportements irréguliers et parfois fort violents du Mistral ; – À l’est, il est de type « niçois », notoirement plus humide et dominé par le souffle plus régulier, mais parfois tout aussi fort, du vent d’est (« marin »).
Fréquences annuelles moyennes des directions observées du vent pour deux stations régionales[5] (les chiffres en abscisse correspondent à l’angle au nord géographique. Ex. : « 16 » = 160°).
L’enregistrement en continu des directions du vent produit des distributions bimodales qui mettent bien en évidence deux secteurs privilégiés : – le secteur est, situation météorologique perturbée en Méditerranée ; – le secteur ouest-nord-ouest, souvent par régime de Mistral.
Comme sa cousine languedocienne la Tramontane, le Mistral résulte de l’extension périodique de l’anticyclone des Açores vers le golfe de Gascogne et le sud-ouest de la France, tandis que sa violence se trouve exacerbée quand concomitamment se creuse une dépression sur le golfe de Gênes. À Montpellier et aussi en Provence, on dit qu’il souffle trois, six ou neuf jours. Ce n’est pas un fait scientifique, mais le fait est que souvent les coups de Mistral durent effectivement de deux à trois jours, parfois un peu plus, ce qui correspond au délai habituel d’affaissement du système atmosphérique qui l’engendre.
Le Mistral, dont le nom dérive de « magistral », car il est le « maître-vent », impose son autorité à tous les aspects de la vie locale. Il peut souffler toute l’année, généralement davantage le jour que la nuit.
En hiver il contribue pour une part essentielle à l’ensoleillement de la région en chassant les nuages, mais il apporte aussi la froidure des régions du nord-ouest (et non des Alpes comme on l’entend dire parfois) qu’il exacerbe par ses rafales tempétueuses.
L’été il atténue les rigueurs de la canicule pour ceux qui restent au travail et malgré son irrégularité, il est alors fort apprécié des habitués du « spot » de planche à voile et de « kitesurf » internationalement réputé de l’Almanarre, un peu moins des estivants et de leurs parasols sur la plage, qui voient alors celle-ci s’encombrer d’un épais tapis de débris de posidonies arrachés par les vagues aux mattes (herbiers) prospérant à quelques encablures du rivage. Les baigneurs délicats conservent toutefois la possibilité d’aller se réfugier sur les plages de la Badine et de la Bergerie qui, situées de l’autre côté (est) de la presqu’île, sont toujours bien abritées de l’importun…
Malheureusement, le Mistral soulève aussi des vagues qui, quand il monte brusquement, peuvent devenir redoutables pour les petites embarcations, celles notamment dont le « capitaine » a négligemment appareillé sans consulter la météo marine, et surtout il facilite le déclenchement et la propagation des incendies de forêt auxquels il peut donner les proportions d’immenses catastrophes.
En bord de mer, le Mistral imprime sa marque dans la brousse littorale qu’il semble tailler en brosse, obligeant de grands pins à ramper. Ce faciès très particulier de la végétation est bien visible, voire spectaculaire, à la pointe occidentale de la presqu’île (Pointe des Chevaliers), ou bien sur la rive sud de Porquerolles du côté de la Calanque de l’Indienne, particulièrement exposées au vent. Ces déformations ou « anémomorphose » ne sont pas dues ici comme on pourrait le penser à la poussée du vent, mais à la brûlure chimique par le sel des embruns, car seuls les bourgeons qui ne sont pas exposés se développent et la croissance est ainsi orientée.
Les brises côtières(« brise de mer/brise de terre »), d’origine thermique et à inversion diurne, sont particulièrement marquées en été et contribuent alors à tempérer quelque peu l’atmosphère torride des bords de mer jusqu’à quelques kilomètres dans l’arrière-pays.
Diagramme climatique de Hyères.
On observe peu de jours de pluie, irrégulièrement répartis sur l’année (40 % en trois mois). Comme le montrent les diagrammes climatiques, il pleut surtout en automne et au printemps, mais il s’agit d’une tendance pluriannuelle, certains étés pouvant enregistrer de fortes pluies sous les orages.
Pluviométrie comparée de Hyères et de Paris. L’année 2022 a été marquée sur toute la France par une sécheresse exceptionnelle, ce qui n’a pas empêché l’été hyérois d’être relativement bien arrosé.
Les précipitations annuelles vont de 400 à 800 millimètres et elles ont souvent un caractère très marqué d’averses qui entraîne des intensités remarquables pouvant dépasser 100 mm/heure pendant six minutes[4]. Leur volume diminue d’environ 100 mm de Hyères à La Capte, puis encore d’autant de La Capte à Porquerolles.
Des records d’ensoleillement…
Dans le sens nord-sud, en allant du centre de Hyères vers Giens et les îles, le climat s’envole vers toujours plus de lumière et de chaleur. Toutes ces localités s’inscrivent solidairement dans la zone la plus radieuse de la Provence, avec plus de 2700 heures d’ensoleillement par an.
Insolation de la région méditerranéenne française [5] (lignes d’iso-insolation en centaines d’heures).
Le ciel et la mer sont ici le plus souvent bleus et nous rappellent que le nom de Côte d’Azur est un choronyme[6] attribué à l’écrivain-poète Stéphen Liégeard (1830-1925) dans son livre « La Côte d’Azur » publié en 1887.
Quelle sera l’évolution du climat en région Sud ?
Dans le contexte qui prévaut désormais, il n’est plus possible de parler du climat sans immédiatement s’inquiéter de son évolution dans le siècle, si ce ne sont les quelques décennies à venir.
On trouve à ce sujet d’intéressantes indications sur le site du GREC-SUD (Groupe Régional d’Experts Climat en Provence-Alpes-Côte d’Azur) :
« Si l’on compare les projections climatiques basées sur le scénario socio-économique le moins émetteur en gaz à effet de serre (RCP 2.6) et le scénario le plus émetteur (RCP 8.5), on constate que l’évolution future des températures estivales dépassera largement ce que les hommes ont connu depuis 10 000 ans. Les projections concernant les précipitations sont plus incertaines, mais la question de la ressource en eau est bien plus complexe que le simple cumul de précipitations et tient compte notamment de la fréquence des précipitations et de leur intensité, mais aussi des ressources distantes : par exemple, les précipitations neigeuses dans les Alpes pour alimenter les fleuves et rivières qui drainent la région PACA. »
En seulement soixante ans, la moyenne des maximaux estivaux a déjà augmenté de 2,5 °C. L’intensité des « épisodes méditerranéens » (voir aussi ici), pluies torrentielles qui dans l’arrière-pays s’abattent sur les versants du relief tournés vers la Méditerranée en prenant parfois un caractère catastrophique, est en hausse de 22 % depuis 1960 et leur fréquence a doublé. De manière générale, sous l’effet de la hausse de la température, l’atmosphère peut contenir davantage de vapeur d’eau, qui peut davantage se transformer en pluies, ce qui conduit à une intensification des précipitations. Le 6e rapport du GIEC confirme l’intensification attendue de ces épisodes de fortes précipitations si le réchauffement global continue de s’aggraver et dépasse 2 °C, ce qui correspond à son scénario… « optimiste », car selon un scénario « pessimiste », mais malheureusement fort probable, la hausse de la moyenne annuelle des températures vers 2050 pourrait atteindre 5 °C. On doit alors s’attendre à une multiplication des vagues de chaleur, pouvant dépasser les 90 jours de canicule par an, et à des périodes de sécheresse intenses et prolongées. Le nombre de jours supérieurs à 35 °C a déjà été multiplié par deux entre la période 1990-2000 et 2010-2020. Et d’ici 2100 l’été pourrait s’étendre sur près de six mois, de mai à octobre, l’hiver tendant lui à disparaître pour ne plus durer qu’un mois[7].
S’il est certain qu’ils vont être considérables, les effets à moyen et long terme du changement climatique sur la biodiversité restent cependant difficiles à évaluer, car les prévisions d’évolution des précipitations ne sont pas aussi claires que celles des températures. On note déjà une certaine diminution du nombre de jours et de la quantité des « pluies efficaces » – les pluies supérieures à 30 mm qui en 1990 représentaient 40 % des apports n’en représentent plus que 25 % – mais à l’échelle annuelle, la fréquence et l’intensité des pluies ont pour l’instant peu évolué.
Michel AUTEM & Pierre VIGNES
_________________________ Notes & Références
Quoique ce soit Charles Flahault (1852-1935) qui ait le premier proposé l’oliveraie comme marqueur du climat méditerranéen.[⬉]
Félix Lenoble (1867-1949)et Louis Emberger (1897-1969) sont même allés jusqu’à réfuter toute valeur indicatrice aux limites de l’olivier, car ils l’avaient considéré comme non indigène. Ce point de vue a cependant été depuis contredit par l’archéobotanique, la biogéographie et la génétique.[⬉]
TASSIN, C. (2012) Paysages végétaux du domaine méditerranéen. IRD Éditions, Marseille, France, 421 p., ISBN 978-2-7099-1731-5[⬉][⬉]
HARRANT, H. & JARRY, D. (1964) Guide du Naturaliste dans le Midi de la France. 1. La Mer, le Littoral. Delachaux & Niestlé, 3e édition (1974), 1 vol., 313 p.[⬉][⬉]
ASCENCIO E. (1983) Aspects climatologiques des départements de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Monographies, 3. Min. des Transports, Direction de la Météorologie, 1 vol., 88 p.[⬉][⬉]
Un choronyme est un toponyme (nom de lieu, de région ou de pays) issu d’une caractéristique géographique physique ou d’une particularité environnementale.[⬉]
WANG, J. & al. (2021),Geophysical Research Letters : 48(6), e2020GL091753, 9p. Changing Lengths of the Four Seasons by Global Warming. https://doi.org/10.1029/2020GL091753.[⬉]